samedi 19 avril 2008

Tiens, un poste presque d'hier.

Cher Ray Zo,


Journal :

N'en faisons pas mystère, je déprime.
Au soucis que représente mon inadéquation avec la vie moderne, et plus précisément la difficulté d'y trouver une niche d'épanouissement pour plante rare (ni utile ni décorative), s'ajoutent quelques emmerdements connexes.

Ca a commencé avec le passage de mon père, qui m'a remis le nez dans mes soucis.
Le point :

- une épée de Damoclès dans mon entreprise : je vais probablement être convoqué pour me faire engueuler. Je ne sais pas quand, mais ça va tomber. Non sans raisons. Mais sans vraiment bonnes raisons.
- j'ai pas de temps pour moi. En fait, mon rythme de travail me laisse les matinées. Résultat immédiat, je m'endors tard, me lève tard. Ca fait 3 mois que je dois aller chez le coiffeur et j'arrive plus à aller au ciné.
- j'ai demandé mes congés trop tard, pas de la bonne manière, et je ne sais pas quand j'en aurai.
- je me mésorganise pour voir équitablement ma famille Apou et k-puchett. Et au final, le temps que je distribue ne satisfait personne, surtout pas moi.

Compensation, au poste d'accueil, je peux lire et écrire des trucs pour moi. Mon cerveau ne s'oxyde donc pas complètement.

N'empêche que je me lève sans entrain ; c'est pas un effort qu'il me faut, ce sont des mégawatts d'auto-persuasion. Pour daigner ne pas me rendormir, penser à un moment dans la journée qui sera vraiment agréable, et essayer de le transformer en centre moteur. Et des moments agréables, je n'arrive pas à en inventer où à m'en trouver à chaque fois. Donc, il y a des jours - nombreux - où je me lève et me couche avec des idées noires, de la fatigue générale, pas de cœur. Et bien sûr une envie de sieste permanente.

C'est pas grave, mais c'est un bon critère personnel pour repérer une déprime.
Ce qui me rassure un peu, c'est que je continue à réfléchir, et pas seulement sur le mode autoflagellatoire. There has to be an invisible sun that gives its hope when the all day's gone. Toussa.


En lecture :


Lu Bad Monkeys, de Matt Ruff. J'aime bien cet auteur. Il s'amuse à faire des histoires très imagées, un peu surréalistes.

Après une tentative de meurtre, une femme est emmenée en prison psychiatrique. Elle déclare appartenir à une organisation secrète, capable de surveiller les gens via des caméras invisibles placées dans les yeux des photos, qui recrute des péquins pour lutter contre les gens très malfaisants. Un grand délire paranoïaque, donc.

C'est très riche, bourré de références et de bonnes idées, c'est haletant, mais ça manquera peut-être d'innovation pour des lecteurs plus exigeants que moi. Un peu comme si Dick et Pynchon avaient lissé leur projet pour privilégier le storytelling (pas la narration, la méthode d'écriture). On peut aussi bien trouver ça plus accrocheur. Ce roman c'est de la très bonne consommation courante. Le précédent, Le Souffle de l'esprit était un peu plus habile (basé sur des cas de personnalité multiple romanesquement bien utilisés, et le tout premier traduit, Un requin sous la Lune, est un vrai bijou de SF, avec des gentils terroristes en sous-marin jaune et une simulation d'un autre auteur de SF (Ayn Rand, auteuse d'anticipation ultralibérale peu traduite mais culte aux U.S).


En lecture : Vol de sucettes / Recel de batons, de Ravalec. Deux recueils de nouvelles en un. Comme d'hab chez lui, des paumés, des ambiances speed ou confuses, et quelques petits délires psychédéliques. Plusieurs histoires à propos de tournages de clips et de pub. Des personnages naïfs qui font pitié et qui font avec.

En fait, les nouvelles de Ravalec sont généralement mieux composées que ses romans. Mais je préfère ses romans parce que ses illuminations, même si trop étalées, y sont plus prenantes : je me sens plus hypnotisé, comme par les machins à motifs brahmanes, là.



Drift-raff :

(Serial Spoiler de l'autre côté du mirroir)

Tiens, je repense à Matrix. ( Décroche pas, je parle de plein d'autres trucs en même temps. Si t'es allergique à Matrix, je te met un BIP pour reprendre ta lecture)
Vive les objets incomplets ou faussement complets, il permettent de fantasmer plus longtemps.
Un truc auquel je n'ai pas beaucoup réfléchi, c'est que la fin n'est pas exactement un happy end. Neo est physiquement absorbé par les robots de Zero city, ce qui conduit à une remise à jour de la matrice sur un mode différent de celle pour laquelle il était programmé (après sa rencontre avec l'Architecte).

Zion et ses habitants sont préservés, et sont censés vivre en paix avec les machines.
Mais après l'agentsmithisation de la Matrice, puis la défaite de Smith, il a qui dans la Matrice ? A priori, les humains pas débranchés y reviennent. Il n'y a pas de grand débranchement général où tout le monde sort des batteries d'élevage (du parc humain).

La question du devenir humain reste posée, Neo peut être appelé à revenir.
Du coup, la matrice n'est pas exactement remise à zéro. Mais malgré le ménage fait à grand bruit et la survie des humains débranchés, comment les machines vont-elles pouvoir passer à autre chose que l'élevage des corps en batteries ?
BIP.
Parce que concrètement, à la fin du film, l'humanité en est toujours là, le monde physique est présenté comme inhabitable…

Comme dans I.A de Spielberg/Kubrick, la réalité simulacre est préférée à la réalité sèche, la Terre ruinée. C'est le point de vue d'un robot, mais d'un robot conscient.

Dans Avalon, Mamuro Oshii débouche de façon plus discrète sur la même conclusion : le personnage est arrivé à un nouveau niveau, niveau de jeu total, mais niveau de jeu tout de même puisque certains corps disparaissent. La différence c'est que ce niveau, beaucoup plus proche de notre réel, ne propose pas d'objectifs. Enfin pas plus que notre réel. Ce qui laisse une liberté sur le plaisir à y participer, à la différence du réel de départ du personnage, monochrome et pauvre. Note : ce final (un plongeon dans une foule plus réelle que le réel précédent) constitue l'image inversée de la scène explicative de Matrix. L'un conclut là où l'autre commence.

Dans eXistenZ de Cronenberg, la fin relève (presque) de l'indécision. Les joueurs ont fait une boucle, et leurs références de réel sont incertaines. Et finalement, ils regardent (et pointent leurs armes) vers nous.

Dans Vidéodrome du même Cronenberg, la réalité simulacre envahit le réel, s'y est introduite. Et le réel en devient plus amusant.

Dans La petite Marchande d'allumettes (un coréen dont je n'ai pas le nom) le Game Over est la fin, fin volontairement déceptive.

D'une certaine manière, dans tous ces films, la fiction célèbre la fiction. Essentiellement parce que le monde réel est chiant.

Stalker propose un discours inverse. La fiction n'a pas de support (la Zone n'est pas un artifice ni un simulacre). Le passeur de Stalker, qui préfère croire, et c'est sa Foi qui met des couleurs au monde.
Et Stalker, par son parti pris antispectaculaire - et donc parfois chiant, hein, j'crains pas de l'dire - est la seule de ces fiction qui potentiellement peut aboutir à un impact sur le réel : elle nous renvoie le pari de Pascal, et nous propose de jouer avec les réalités.

L'échec éducatif se situe dans l'aspect rébarbatif, sans séduction.

Au final, tous ces films concluent sur le plaisir d'un jeu, du simulacre stimulant. Pourtant, ces récits échouent tous. Comme le dit Proust, l'art est au seuil de la vie spirituelle, il y introduit mais ne la constitue pas. Hors un spectateur passif ne devient pas un joueur, un initié.

Une fiction initiatrice idéale serait donc un jeu (de pistes, un puzzle film incomplet, un jeu de rôle… Les geeks peuvent avoir une vie intéressante, sisi). Cette fiction étendrait le jeu au réel (ce que souhaite d'ailleurs faire Gibson, voir son interview dans un chornicart récent).
Le problème, c'est que si on cherche à fond, étendre le jeu dans le réel, ça relève du rapport de pouvoir (prise de pouvoir ou sabotage). Ca aboutit plutôt à l'illégal. Sauf éventuellement en prenant au sérieux Pour une nouvelle sorcellerie Artistique de Ravalec.


Tu peux toujours dire que je suis un rêveur. Mais je ne suis pas le seul.


16 Avris 08

Cher Ray Zo,


Journal :

C'est ringard de causer de 68. Quarante ans après, on peut en faire un parc à thème. C'est tout aussi ringard de taper dessus. On a pas l'air moins bête en joggeur à piles qu'en pattes d'eph.

Je fantasme sur un piège situ pour le télémarketing direct.

Un plateau de réception d'appel virtuel de militants anti-pub. Les télévendeurs de cuisines seraient envoyés dans un réseau kafkaiens de numéros de téléphone, où les gens leurs répondraient des trucs abracadabrants, la personne qu'ils cherchent les laisseraient en attente pendant des heures avec des musiquettes crispantes… Ou ils tomberaient sur des happenings pas possibles (enregistrés), avec des meurtres à l'autre bout du fil, des concerts de scies électriques, des gens qui parlent en japonais…

Le feu par le feu, quoi.


Drift-raff :

Ayé, ayé ils reviennent !
Le ministère de l'Emploi veut renforcer les devoirs de chômeurs. Pas lutter contre le chômage, ou repenser le travail, hein.
Non, sanctionner.
L'idée, c'est, après 6 mois de chômage, et 2 offres "raisonnables" de l'ANPE refusées par un chômeur en un mois, le chômeur doit accepter la suivante. Raisonnable, au bout de 6 mois de recherches, ça veut dire 30 % de salaire en moins que le précédent et deux heures de transport par jour si nécessaire.
Travailler autant pour gagner moins.

Constat : ce n'est pas parce qu'on est qualifié qu'on garde un emploi.
Pourquoi pas.
Je suis pas fou du CDI pour tous, tant que l'appauvrissement ne guette pas, qu'un système social assure derrière. Ce qui n'est pas vraiment le cas, et la mesure évoquée ci-dessus empirant les choses. La ringardisation du néo-libéralisme arrive, patientons.

Donc, quand on est formé, expérimenté, on peut réclamer un minimum plus qu'en début de carrière, ou qu'un clampin sans connaissance du métier. On peut s'attendre à pouvoir vivre et faire vivre son foyer sans avoir l'impression de s'être approché trop près du bord de la falaise.
Non?
Non, plus aujourd'hui, un-deux-trois, plus flexibles les mains, plus haut la croupe, et on dit merci !

Je me souviens avec émotion de ma période manifs. Les syndicats prenait des gares entières d'usagers en otage, on les tenait en respect avec des kalach', on bêlait nos revendications trotsko-goulaguistes, le soir on buvait de la villageoise dans nos flûtes en cristal et on crachait sur la bourgeoisie en visant bien pour pas toucher nos parents. Et on faisait rôtir des enfants au milieu des merguez de la CGT.

Heu, non, c'était pas cette fois-là.

Donc, mon petit souvenir c'était pendant les manifs des chomeurs. Fin 96, je crois. Au milieu des pancartes qui disaient "du boulot" "stop aux licenciements" et "la retraite à 60 ans" (ah quelles belle inconscience…), il y avait une banderole qui devint une bande. Elle disait "on veut des boulots de merde payés des miettes".

C'était un groupe qui avait repris (à des allemands) le nom des "chômeurs heureux". Pancarte et dénomination étaient à l'époque, et demeure aujourd'hui provocatrices de frémissement horrifiés. Quoi, des irresponsables (mangeurs d'enfants)(fnord!) qui refusent le travail ? Ils refusent la société alors !?

Précisément, ils pensaient surtout que travail et richesse n'avaient plus un rapport systématique de cause à conséquence, surtout à l'échelle individuelle, et que dans la vie et la société il y avait plein d'autres choses à faire que bosser.


Intéressons-nous un moment au contexte présent.

Il y a aujourd'hui des grèves de la faim, on parle de pénurie alimentaire. En même temps, Monsanto joue de son monopole pour empêcher les paysans de planter autre chose que du Monsanto et barrent le passage à leur distribution, l'occident dicte la nature et la destination des productions alimentaire du Sud et les U.S.A réservent la majeure partie de leur culture de maïs à la fabrication de carburant bio. L'abondance des réponses aux besoins naturels est non seulement accessible, mais effective.

Et on ne parle pas de ce qui pourrait être produit, sans gain certes mais au bénéfice de tous, en finançant et orientant la recherche. C'est l'argument même des pro-OGM : laissez-nous expérimenter pour qu'on crée des tomates qui poussent dans le désert. Sauf que l'un des produits-phare de Monsanto, c'est la graine Terminator, dont le but est de germer sous forme consommable mais stérile. On plante la graine, mais on ne peut pas garder une part de la production d'une année sur l'autre pour la prochaine récolte. Il faut racheter les graines à Monsanto. L'idée d'une multinationale philanthrope dans une économie déréglementée est généralement un gag, et en l'occurrence un foutage de gueule cynique. Pourtant, techniquement, faire pousser des trucs dans des endroits difficiles, dessaler et conduire la flotte à travers les frontières comme on conduit le pétrole, répartir les productions en fonction des besoins locaux et seulement ensuite de la demande du marché… C'est faisable. Bénéfique avant d'être bénéficiaire.

Autre élément de contexte, la compétitivité, moteur et la profession de Foi du capitalisme moderne. La compétitivité fait qu'on délocalise les emplois. Elle fait aussi baisser la valeur du travail. Elle tend à pousser toujours plus haut la productivité, à favoriser l'automation. La compétitivité n'est donc plus l'émulation chère aux managers : l'émulation n'existe que si le concurrent continue à courir, hors le capitalisme tend au monopole (c'est pas moi qui le dit, c'est les keynesiens). La recherche du "moindre coût à n'importe quel prix" rend la compétitivité destructrice, pour l'environnement et pour les personnes (c'est limite tautologique). La productivité est plus forte, la production croît… Et les besoins en travail décroissent. La planète pourrit.

Dans une économie néolibérale, une partie conséquente de la force de travail participe à la destruction du monde, sans pour autant offrir aux habitants du monde la richesse produite, ni même un minimum vital. Et une autre partie de la force de travail, l'essentiel de ce qu'on appelle l'économie de service, consiste à vendre (et compliquer) l'accès à la richesse.

C'est ce que je voulais dire par "il n'y a plus de lien direct de cause à conséquence entre travail et richesse". A fortiori, le nombre de gens qui par leur travail créent réellement une richesse dont ils pourraient directement bénéficier plutôt que l'apporter à une entreprise est de plus en plus mineur.


Le travail a toujours été une valeur surévaluée, bien plus souvent instrument de domination que d'épanouissement. Mais aujourd'hui, il a l'effet inverse de ce qu'il promet. Cette proposition de caser les chômeurs en dévaluant leur travail pourrait mettre en évidence l'absurdité de la recherche d'emploi. Ne pas être prêt à travailler dans les conditions actuelles pourrait être une revendication, une des prises par lesquelles saisir l'économie globophage, pour la remettre à l'endroit.

"On veut un boulot de merde payé des miettes" n'est plus une petit slogan ironique à l'usage de défavorisés. Il nous décrit presque tous…


Tu peux toujours dire que je suis un rêveur. Mais je ne suis pas le seul.


Tiens !

En vla encore !

09 Avril 08

Cher Ray Zo,

Journal :


Clik-ett, clik-ett, clik-ett.

Une envie physique de faire du clavier. Je me laisse aller à la vanité de croire à une tendance caractérielle à l'écriture.


Je suis de nouveau dans une période à bas taux de répit.
Double pensée : ma vie matérielle n'est pas épuisante – j'ai besoin de répits récurrents.

Suis-je :
- trop dépressif pour catalyser des énergies et croire à un but, un projet ?
- définitivement une petite nature, un moteur de mobylette qu'essayerait de faire avancer une berline ?


Je lisais memapa tout à l'heure, et il disait que son meilleur souvenir de travail était d'avoir envoyé balader un commercial de sa boîte, pour tendance à sous-estimer le coût en travail de ce qu'il vendait. Le coût en travail de memapa, en fait.

Je crois jouer dans la même catégorie, en plus incompétent. Non seulement je ne crois pas que mes compétences puissent apporter grand-chose à une entreprise, mais en plus, mes meilleurs souvenirs de salarié sont les siestes volées (souvent dans des chiottes) ou des moments où je pouvais mettre mes supérieurs ou des clients face aux contradictions (ou l'inanité) de leurs demandes.


La société de services est tellement abstraite que les gens (il m'arrive fréquemment d'être un gens, c'est dit) exigent que n'importe quel maillon de la chaîne soit responsable de l'ensemble.

Un peu comme quand un client engueule un caissier de Mac Do parce que le pain est mal cuit. Ou le pauvre clampin chargé de réception d'appel pour une hotline de fournisseur téléphonique. C'est pas lui qui a coupé la ligne pour la quatrième fois en trois mois, mais pas de raison qu'il en prenne pas plein la gueule, il est l'incarnation du logo.

Chacun vit intellectuellement dans un village, où il est facile de savoir qui qu'a pissé dans l'abreuvoir des vaches. Même si c'est faux, comme de toute manière on est entouré par le résultat du travail et non pas par des travailleurs identifiables, si on veut obtenir réparation, on tire dans le tas, ça finira bien par bouger.

Corrélat : c'est jamais la faute de personne. Personne n'est coupable, ni responsable. Peut-être que c'est une conséquence du taylorisme appliqué aux services. Chaque activité est tellement sécable en tâches que personne n'assume le résultat. Par ailleurs, plus une société considère que la qualité du travail ne se mesure qu'à la qualité de la production et à son petit prix, moins elle prend en compte la personne qui a travaillé. Et une personne qui n'est pas prise en compte ne se sent pas responsable.


Donc mes bons souvenirs, c'est quand j'arrive à faire valoir je suis un sous-fifre, et que non, je ne prend pas cette responsabilité, pas la peine de gueuler, merci.

Le travail n'est pas un enfer. Les enfers sont mieux organisés. Par contre, dès qu'on ne fait pas ce qu'on aime, et que la peine n'est pas assez compensée, on peut assimiler ça à un purgatoire.

Je comprends encore celui qui fait avec, qui est résigné. Etant donné que je fais pas mieux. Pour l'instant. Pffff.

Par contre, celui qui ne rapproche pas son malaise de la nature même du travail, là, c'est vraiment l'Autre. Il y va plein de bonne volonté, tambour battant. Disparaît quelques mois, un an ou deux, dans le ventre de son entreprise. Puis finit pas se remontrer, la mine soucieuse, les épaules voûtées, les yeux cernés et les doigts jaunis. Sa belle énergie s'est faite bouillonnement d'ulcères. Tel chef est un connard. Tel poste est mal défini. Telle promesse n'a pas été tenue. Quelques broncas plus tard, changement ! Nouveauté dans le poste ! Fanfare et bon pied bon œil ! Donc retour à la phase engloutissement dans l'entreprise.

L'idée que le travail est néfaste, polluant, aliénant ne viendra que tard, dans un moment de crise. Et encore… Le plus convaincu se reprochera cette crise. Ce n'est pas la méta-usine qui tourne trop vite, c'est lui qui ne trime pas assez.
D'autant qu'il y a toujours un bon petit soldat pour montrer que c'est possible de ne dormir que cinq heures par nuit, n'avoir aucune vie sociale et trouver son quotidien formidable. On le trouve un peu partout, en petit nombre au point que d'aucuns le prennent pour un mythe, il tient toujours valeureusement. Qu'il trouve vraiment son épanouissement ou qu'il en soit seulement persuadé n'est pas toujours clair.
Même il n'en est pas nécessairement conscient, tout le bastringue se justifie grâce à lui. Si on ne peut pas appliquer les 35 heures, c'est à cause de lui, il paierait presque pour en faire le triple. Si on peut être viré avec les invendus du mois, c'est à cause de lui, il abat le boulot comme d'un rien et fait jouir les DRH d'un seul regard dès son premier entretien. Il est indispensable, il devient le centre de l'entreprise. Parfois patron. Et là, ça rate jamais, du sommet où il a planté son joli drapeau "Preum's", il regarde avec courroux la masse paresseuse qui ne peut pas courir et siffler sa joie en même temps.

Shoot winners. They die young anyway.


Tu peux toujours dire que je suis un rêveur. Mais je ne suis pas le seul.

Té, et ça ?

Hein, ça ?

2 avril 08

Cher Ray Zo,


Journal :

Un de ces matins où je dois désenfouir ma conscience pour ne pas plonger dans une torpeur totale. La conscience comme starter de l'ensemble des fonctions vitales.

Le cœur est un quarante-cinq tours rayé où seulement les deux pieds du batteur sont enregistrés. A force de faire du rap avec le faire accélérer puis ralentir pour rien il siffle comme un vieux train enrhumé jusqu'au ventre.

Malzieu

Pareil, un vieux train, enrhumé jusqu'au ventre. Une loco d'avant le far-west à peine capable de faire le tour de l'usine. Je sens que ma grosse carcasse de trentenaire dissimule un pépé pré-grabataire, qui comprend pas tout ce qu'on lui dit et qui frôle la syncope. Limite j'ai la tremblante et la voix chevrotante.

Il me faudra peut-être un troisième café pour me sortir du brouillard, et là je serai assuré d'être excité comme une puce et de ne pas pouvoir dormir.

Lorsque je bossais avec Morticiou, au moins, je pouvais me taper des petites siestes. Des siestes qui épuisent la fatigue, ou vous recalent sur un vrai cycle d'éveil, au lieu de rester éveillé et lutter indéfiniment, gâcher son énergie à sortir d'un cycle de sommeil artificiellement interrompu.


Drift :


Avec des revendications syndicales comme la sieste, un minima social chômage permettant réellement la survie et la semaine des 32 heures, un syndicat aurait vraiment une posture révolutionnaire : il irait à l'encontre de tout ce qu'attend non seulement le système, mais même les exploités. Je l'ai déjà dit, la paresse est une des rares choses qui passe encore pour un pêché, dont la peine méritée seraient la déchéance sociale et matérielle.

Tu peux voler, tout le monde le fait.

Tu peux mentir, à l'école, à tes amis, sur ton CV, c'est normal.

Tu peux avoir les yeux plus gros que le ventre, ça passe totalement inaperçu.

Tu peux être un sociopathe fini, égocentré et fier de l'être, du moment que t'es épanoui, tant mieux pour toi.

Tu peux être médiocre, rester confortablement dans ta petite case, personne ne t'en voudra, c'est tellement dur de faire mieux.

Tu peux être matérialiste, radin ou avide, c'est l'air du temps.

Tu peux être niais, on peut pas t'en vouloir d'être reposant.

Que tu sois un connard ou un peu con, au fond c'est pas si grave. C'est la vie.

Par contre, si t'es paresseux, si tu tires au flanc, économises tes efforts… Le nombre de gens qui trouveront juste que t'en payes bien les conséquences, s'en trouveront renforcé dans leur condition qui pensent que ton naufrage relève de l'ordre naturel, participation massive au référendum, vote presque unanime.


Hier, vu une scénographie de Stanislas Nordey, au théâtre du Rond-point. 7 secondes avant impact, récit à plusieurs voix de la guerre en Afghanistan. Pour faire ressortir la banalité de la violence, le jeu est monotone. L'idée de "guerre abstraite" est claire mais pas frappante…

Piste d'un contre-usage du langage déshumanisé.

Et ça ?

J'ai pas écrit ça ?

20 mars 08

Cher Ray Zo,


Journal :

Ce goût pour le sommeil me taraude. Terriblement ! J'éprouve de la joie à sentir ma vigilance baisser, je pressens la douce pression de l'oreiller sur mon nez, je la désire comme on désire caresser une fille !

Mon addiction me fait le coup de la séduction…Ca me fait un peu peur.

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Deux façon de dire une même chose : je suis réticent au téléphone, vraiment. A moins que je sache très bien à quoi va servir, utilitairement, l'appel, je décroche peu, appelle peu. Je trouve que le téléphone, a fortiori le mobile, impose un rythme, celui de la personne qui appelle.

Dit autrement, je n'aime pas trop appeler ou être appelé, je préfère le mail de loin (ou le texto) parce que c'est une façon de donner des nouvelles, sans obligatoirement en prendre.


En lecture :

Dorian, deWill Self. Des milieux friqués, de la défonce, du sexe, du sang, du fantastique. J'ai l'impression d'avoir lu beaucoup de livres sur cette forme de décadence. Bret Eston Ellis, notamment. Mais la manière de Self est plus romanesque, il y a un panache qui déborde l'agressive aridité des romans qui lancent le trash comme un projectile étourdissant.

Superficiellement, on pourrait avoir plus de sympathie pour les monstres de Self que pour les Zombies de Ellis. A cause du superficiel, sous lequel il n'y aurait rien en Amérique, tandis qu'en Europe il resterait sous le vernis une certaine noirceur, reconnaissable et humaine. Avec des personnages mauvais, on s'identifie, face à des êtres vides et anesthésiés, on renvoie l'indifférence.

Mais c'est justement en étant concerné qu'on rejette mieux. Des gens qu'on est bien content de ne pas connaître, et pourtant avide, voyeur de leurs aventures comicoglauques . Les pantins cocaïnomanes sont autre, morts. On les refoule, parce qu'on se confronte à leurs cousins assez souvent comme ça.

Les monstres de Self sont moins menaçants, mais de plus grande ampleur.

Et le vernis culturel, le classicisme du roman lui enlèvent peut être le bénéfice de l'avant-garde, mais la prise du récit sur nous est plus tenace. La fiction s'assume, ses effets portent mieux. Dans le nihilisme de la décadence, la culture citée ou utilisée fait que même dans la description du vide, on ne s'ennuie pas.


Drift :

Chef des armées.

Notre Présidissîme va envoyer, après un débat sous-consultatif à l'Assemblée, un contingent supplémentaire en Afghanistan, et œuvre pour reprendre un place à l'OTAN, structure proaméricaine.

L'élection de Sarko était une mauvaise nouvelle pour la France. Encore quelques pas, et ce sera une mauvaise nouvelle pour le globe : nos armées iront pisser le sang et le faire pisser pour des intérêts douteux.


Tu peux toujours dire que je suis un rêveur. Mais je ne suis pas le seul.

Hein ?

Quoi j'écris plus ?
Tu vas voir.