samedi 19 avril 2008

16 Avris 08

Cher Ray Zo,


Journal :

C'est ringard de causer de 68. Quarante ans après, on peut en faire un parc à thème. C'est tout aussi ringard de taper dessus. On a pas l'air moins bête en joggeur à piles qu'en pattes d'eph.

Je fantasme sur un piège situ pour le télémarketing direct.

Un plateau de réception d'appel virtuel de militants anti-pub. Les télévendeurs de cuisines seraient envoyés dans un réseau kafkaiens de numéros de téléphone, où les gens leurs répondraient des trucs abracadabrants, la personne qu'ils cherchent les laisseraient en attente pendant des heures avec des musiquettes crispantes… Ou ils tomberaient sur des happenings pas possibles (enregistrés), avec des meurtres à l'autre bout du fil, des concerts de scies électriques, des gens qui parlent en japonais…

Le feu par le feu, quoi.


Drift-raff :

Ayé, ayé ils reviennent !
Le ministère de l'Emploi veut renforcer les devoirs de chômeurs. Pas lutter contre le chômage, ou repenser le travail, hein.
Non, sanctionner.
L'idée, c'est, après 6 mois de chômage, et 2 offres "raisonnables" de l'ANPE refusées par un chômeur en un mois, le chômeur doit accepter la suivante. Raisonnable, au bout de 6 mois de recherches, ça veut dire 30 % de salaire en moins que le précédent et deux heures de transport par jour si nécessaire.
Travailler autant pour gagner moins.

Constat : ce n'est pas parce qu'on est qualifié qu'on garde un emploi.
Pourquoi pas.
Je suis pas fou du CDI pour tous, tant que l'appauvrissement ne guette pas, qu'un système social assure derrière. Ce qui n'est pas vraiment le cas, et la mesure évoquée ci-dessus empirant les choses. La ringardisation du néo-libéralisme arrive, patientons.

Donc, quand on est formé, expérimenté, on peut réclamer un minimum plus qu'en début de carrière, ou qu'un clampin sans connaissance du métier. On peut s'attendre à pouvoir vivre et faire vivre son foyer sans avoir l'impression de s'être approché trop près du bord de la falaise.
Non?
Non, plus aujourd'hui, un-deux-trois, plus flexibles les mains, plus haut la croupe, et on dit merci !

Je me souviens avec émotion de ma période manifs. Les syndicats prenait des gares entières d'usagers en otage, on les tenait en respect avec des kalach', on bêlait nos revendications trotsko-goulaguistes, le soir on buvait de la villageoise dans nos flûtes en cristal et on crachait sur la bourgeoisie en visant bien pour pas toucher nos parents. Et on faisait rôtir des enfants au milieu des merguez de la CGT.

Heu, non, c'était pas cette fois-là.

Donc, mon petit souvenir c'était pendant les manifs des chomeurs. Fin 96, je crois. Au milieu des pancartes qui disaient "du boulot" "stop aux licenciements" et "la retraite à 60 ans" (ah quelles belle inconscience…), il y avait une banderole qui devint une bande. Elle disait "on veut des boulots de merde payés des miettes".

C'était un groupe qui avait repris (à des allemands) le nom des "chômeurs heureux". Pancarte et dénomination étaient à l'époque, et demeure aujourd'hui provocatrices de frémissement horrifiés. Quoi, des irresponsables (mangeurs d'enfants)(fnord!) qui refusent le travail ? Ils refusent la société alors !?

Précisément, ils pensaient surtout que travail et richesse n'avaient plus un rapport systématique de cause à conséquence, surtout à l'échelle individuelle, et que dans la vie et la société il y avait plein d'autres choses à faire que bosser.


Intéressons-nous un moment au contexte présent.

Il y a aujourd'hui des grèves de la faim, on parle de pénurie alimentaire. En même temps, Monsanto joue de son monopole pour empêcher les paysans de planter autre chose que du Monsanto et barrent le passage à leur distribution, l'occident dicte la nature et la destination des productions alimentaire du Sud et les U.S.A réservent la majeure partie de leur culture de maïs à la fabrication de carburant bio. L'abondance des réponses aux besoins naturels est non seulement accessible, mais effective.

Et on ne parle pas de ce qui pourrait être produit, sans gain certes mais au bénéfice de tous, en finançant et orientant la recherche. C'est l'argument même des pro-OGM : laissez-nous expérimenter pour qu'on crée des tomates qui poussent dans le désert. Sauf que l'un des produits-phare de Monsanto, c'est la graine Terminator, dont le but est de germer sous forme consommable mais stérile. On plante la graine, mais on ne peut pas garder une part de la production d'une année sur l'autre pour la prochaine récolte. Il faut racheter les graines à Monsanto. L'idée d'une multinationale philanthrope dans une économie déréglementée est généralement un gag, et en l'occurrence un foutage de gueule cynique. Pourtant, techniquement, faire pousser des trucs dans des endroits difficiles, dessaler et conduire la flotte à travers les frontières comme on conduit le pétrole, répartir les productions en fonction des besoins locaux et seulement ensuite de la demande du marché… C'est faisable. Bénéfique avant d'être bénéficiaire.

Autre élément de contexte, la compétitivité, moteur et la profession de Foi du capitalisme moderne. La compétitivité fait qu'on délocalise les emplois. Elle fait aussi baisser la valeur du travail. Elle tend à pousser toujours plus haut la productivité, à favoriser l'automation. La compétitivité n'est donc plus l'émulation chère aux managers : l'émulation n'existe que si le concurrent continue à courir, hors le capitalisme tend au monopole (c'est pas moi qui le dit, c'est les keynesiens). La recherche du "moindre coût à n'importe quel prix" rend la compétitivité destructrice, pour l'environnement et pour les personnes (c'est limite tautologique). La productivité est plus forte, la production croît… Et les besoins en travail décroissent. La planète pourrit.

Dans une économie néolibérale, une partie conséquente de la force de travail participe à la destruction du monde, sans pour autant offrir aux habitants du monde la richesse produite, ni même un minimum vital. Et une autre partie de la force de travail, l'essentiel de ce qu'on appelle l'économie de service, consiste à vendre (et compliquer) l'accès à la richesse.

C'est ce que je voulais dire par "il n'y a plus de lien direct de cause à conséquence entre travail et richesse". A fortiori, le nombre de gens qui par leur travail créent réellement une richesse dont ils pourraient directement bénéficier plutôt que l'apporter à une entreprise est de plus en plus mineur.


Le travail a toujours été une valeur surévaluée, bien plus souvent instrument de domination que d'épanouissement. Mais aujourd'hui, il a l'effet inverse de ce qu'il promet. Cette proposition de caser les chômeurs en dévaluant leur travail pourrait mettre en évidence l'absurdité de la recherche d'emploi. Ne pas être prêt à travailler dans les conditions actuelles pourrait être une revendication, une des prises par lesquelles saisir l'économie globophage, pour la remettre à l'endroit.

"On veut un boulot de merde payé des miettes" n'est plus une petit slogan ironique à l'usage de défavorisés. Il nous décrit presque tous…


Tu peux toujours dire que je suis un rêveur. Mais je ne suis pas le seul.


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