samedi 24 mai 2008

Territoires plus ou moins enchantés

Cher Ray Zo,




Journal :


Toujours sous le joug de la pression due à la présence familiale.

Par ailleurs, mon employeur, après m'avoir signifié que j'étais licencié, m'avait demandé de rester en attendant de me trouver un remplaçant. Et ne l'a toujours pas trouvé au bout de deux semaines. Je trouve la chose un peu cavalière, d'autant que je serai vraiment heureux de passer quelques temps au chômage, pour respirer.

Bref, je passe d'états d'abrutissement et de lassitude extrême à l'irritabilité la plus désagréable. Des envies vengeresses d'envoyer plein de gens dans l'océan (salariés de l'entreprise, usagers du métro), ou sur la Lune, un endroit lointain d'où je ne les entendrais pas.


___________

Un souvenir : la première image effrayante et marquante, j'ai dû la voir dans une église. Sur un vitrail, des anges armés, aux visage sereins, maltraitaient des gens, ou les piétinaient.



En lecture :


Jonathan Strange et Mr Norell, gros pavé divertissant de Susanna Clarke. Ton très anglais, souvent plein d'une ironie amusée. Narratrice extra-diégétique cordiale. Récit à tiroirs, plusieurs contes enchâssés dans les chapitres du roman, souvent sous forme de notes de bas de page de plusieurs pages elles-même. Cadre "gothique" de l'angleterre du XIXème, entrée progressive de la magie, sur le mode du merveilleux.


Drift-raff :


Protectionnisme. Le mot n'est pas très engageant. On s'imagine de douaniers dans des miradors blindés, veillant au travers de meurtrières exiguës sur des frontières fortifiées, recroquevillés dans la crainte qu'un étranger s'adresse à eux dans un patois guttural pour essayer de leur vendre des légumes pleins d'asticots.


Alors que bon. Non.

Le protectionnisme change de sens en fonction de la communauté à laquelle il s'applique (un pays, une alliance commerciale, une région…) et surtout de son domaine d'application.

Par exemple, favroiser un marché commun de la bouffe en Europe, en défaveur de l'importation de céréales ou de fruits et légumes étrangers, ça aurait un peu de sens.

Des fraises qui n'auraient pas fait plus de deux mille bornes pour venir, qui utiliseraient moins de gasoil cher au litre et tout polluant… S'arranger pour faire pousser près de chez soi une partie importante de ce qu'on consomme, au lieu de faire d'immense champs d'un seul machin qu'on arrivera pas à exporter finalement.

Mais l'agriculture intensive demeure le modèle dominant, favorisé par les aides de l'Europe. Et dans les formations spécialisées, c'est un dogme, on ne propose pas d'autres alternatives.

Ca doit venir d'une fascination pour les gros chiffres : 100 quintaux de blé doivent plus stimuler l'entrepreneur que 33 de trois plantes différentes…

Je connais mal cette partie de l'économie, mais intuitivement, je crois que le marché n'a pas favorisé le bon sens dans ce domaine… Je serai intéressé par toute vulgarisation bien foutue dans ce domaine…


Nan mais sérieux. Le prix de la bouffe devient inaccessible, vraiment. 44 % du budget des ménages pauvres passe dans le loyer, l'électricité… Plus le ménage est pauvre, moins il reste de quoi bouffer, et j'imagine que plus le loyer montre, plus il y a de gens qui ne peuvent pas en payer un. J'ai la sensation que le paradoxe entre une économie riche et des besoins basiques inassouvis (nourriture, loyer, environnement non-apocalyptique) se fait plus visible, que la limite du système est sensible.


Tu peux toujours dire que je suis un rêveur. Mais je ne suis pas le seul.

mardi 20 mai 2008

Dérangements

Cher Ray Zo,




Journal :


Le séjour de ma famille chez moi me fatigue… Je ne peux pas me détendre tout à fait en rentrant le soir, et les journées démarrent dans le bruit et les sollicitations.

Ce n'est qu'une vie sociale normale, il y a des tas de gens qui vivent bien comme ça, d'autres qui ne peuvent pas faire autrement.

Le savoir ne me soulage en rien.

Je vis heureux quand se suivent plusieurs jours où je suis seul dans ma caverne d'ours. La présence prolongée d'autres personnes dans mon environnement proche constitue autant de voiles opaques qui m'aveuglent et me pèsent au fur et à mesure qu'ils se superposent sur moi.

Ca me fait une tête de revenant, je n'arrive plus à penser clairement, et ma tendance naturelle à la mélancolie devient mon trait de caractère principal. Je n'arrive pas à maintenir le contact avec mes amis, même quand je pourrai me créer des occasions. Tout devient difficile ou impossible. Conserver mon égalité d'humeur mobilise toute mon énergie, et j'en ai aussi peu qu'une pile de walkman.


Parmi les détails qui rendent la vie plus difficile, il y a la "privation" de DVD. Ma grand-mère dort dans le salon, l'écran qui s'y trouve également et m'apporte le reste du temps de nombreuses satisfactions m'est donc inaccessible. Mon horizon mental se limite à mon oreiller, comme à chaque fois que je n'aie pas envie de vivre quelque chose.

Mon oreiller, qu'il m'engloutisse jusqu'à ce que la paix soit redescendue chez moi !


Drift-raff :


Je laisse la parole à l'intégriste tordu qui réside dans un coin mal balayé de mon crâne, et exerce sur moi des influences dont je me passerais bien.


Il y a une manière coquine de parler et d'aborder le sexe. Une façon de rire des mots ou des actes sexuels que l'on est en train de commettre, comme s'ils étaient une réjouissance transgressive. Comme s'il était taquin de jouer sur la sexualité. Je ne trouve pas ça du tout drôle, moi. C'est quand même une des choses les plus communes au monde.

Je trouve ces rires un peu idiots. Comme une persistance d'âge bête.

Je n'apprécie pas plus les grands éclats de rire, les fous rires et les amants qui jouent à se poursuivre. Ou à s'éclabousser quand ils sont nus dans l'eau. On voit parfois ce genre de scène au cinéma. Sans doute plus souvent que dans la vie, mais là n'est pas la question.

Qu'est ce que c'est que ce chahut de gamins ? Ca gâche la beauté du sexe et des gens, voilà ce que ça fait. Pourquoi pas se maquiller en clowns pour faire l'amour, aussi.

La gaudriole est une dégradation de l'humanité. Qu'on emmène tous ces petits ricaneurs au goulag.


Voilà, merci à mon petit tyran intérieur pour sa participation.



Tu peux toujours dire que je suis un rêveur. Mais je ne suis pas le seul.


vendredi 16 mai 2008

Vagues et gags.

Cher Ray Zo,




Journal :


Avec k-puchett, on ne peut pas se voir longuement ces temps derniers. On se retrouve de temps en temps à Opéra, juste milieu entre nos deux foyers.

Je ne saurai pas comment lui dire sans craindre de la blesser, mais je retrouve avec joie des élans amoureux, des vagues qui n'ont assez de large pour se former qu'avec la distance et le manque.


Drift-raff :


Les formes austères des femmes dépourvues de gourmandise.


Histéro-board :


Une femme de narco ramène sa frime dans un centre commercial. Clics-clacs de talons, bijoux, habits sexy et couleurs criardes.

Elle bouscule le héros, qui est dans son passage. Bermuda et grosse chemise à carreaux, coiffure de réveil.

Comme le héros n'a pas cillé, elle se tourne vers lui et lui hurle dessus.

Le héros lui souffle sa fumée de clope au visage.

Elle continue à brailler.

Un garde du corps se précipite sur le héros dans l'intention de le frapper.

Sans te tourner vers lui, regardant toujours la narca, le héros arrête le poing du garde du corps d'une main, une torsion de bras et le molosse met genoux à terre. Le héros l'assomme d'un coup de genoux.

Il glisse quelques billets dans le corsage de la pouffe, et s'en va.


______________________________

Il y a des voix que tout le monde finit par entendre. Celles des répondeurs de fournisseurs télécoms, de réseau d'ordinateurs. Celles des réseaux de transports publics. Elles parlent à des milliers de gens chaque jour, tout le temps. Tous les jours, il y a des personnes qui s'énervent d'entendre ces voix. Qui en ont marre de leur message répété, de leur tonalité. Qui voudrais que les voix se taisent.

Au cœur des processeurs, quelque chose s'engraissent du dépit de ceux qui les entendent. Un jour, ces voix nous hurleront toute leur haine aux oreilles. Ce sera peut-être comme une multitude de fax qui se mettra à chanter dans tous les haut-parleurs.


En lecture :


Ravalec parle des Siddhus du Gange, et les décrit comme des "clochards célestes".

La filiation entre Ravalec et la Beat Generation m'apparaît d'un coup évidente.


"Si le Libre Arbitre était le Sel de l'existence, il en était aussi la peau de banane". (Ravalec)



Tu peux toujours dire que je suis un rêveur. Mais je ne suis pas le seul.


Nul n'imagine quel est son secret.

Cher Ray Zo,


Journal :


Ca fait deux nuits que je dors bien, que je me réveille avec plutôt la pêche.

Pas de raisons particulières à ça. Si, je me couche un peu plus tôt, et pour cause de non croisement entre ma vie affective et ma vie familiale, je dors seul. Mais en même temps, ça ça fait déjà une semaine et demie.

Peut-être que d'avoir dépassé le w-e de présentations me décontracte. Ou l'approche d'un retour en mode "je suis chez moi", mais je ne me tranquillise rarement d'avance comme ça. Plutôt l'habitude de vivre en apnée le temps que les choses passent. D'où mon étonnement à respirer.



Drift-raff :


_________________

C'est con la géopolitique. On bombarde l'Irak ou l'Afghanistan parce que zut, mais parachuter du riz et des piquets de tente sur la Birmanie, non, c'est compliqué ya la Chine et la Russie qui regardent… T'imagines ? Rangoon qui refuse de vendre son pétrole à un pays : "nan, pour toi ce sera plus cher, tu nous a balancé des trucs utiles quand on voulait pas".

Faudrait appliquer la stratégie d'Ayerdhal, dans Demain un oasis. Tu kidnappes un clampin, mettons un stratège des armées, un médecin consultant sur la santé en milieu urbain, un ingénieur agronome, et puis tu le balances dans un village paumé du tiers-monde rempli de gens en sursis, avec les mouches sur le visage, un endroit qu'il peut pas quitter par ses propres moyens, et t'attend qu'il se soit impliqué sur place pour le rapatrier.


_________

J'aime Cobra, parce qu'entre deux aventures bizarres, il peut glander dans son vaisseau en regardant l'univers par la fenêtre. Alors que dans les autres dessins animés de l'espace (Capitaine Flam, Albator, Les mondes engloutis, Ulysse…), les personnages sont entourés de suractifs et de caractériels. Jamais ils ont la paix. Ca sert à quoi, le vide intersidéral, si dans l'Espace il y a plein de monde en train de gueuler ?




Tu peux toujours dire que je suis un rêveur. Mais je ne suis pas le seul.

Le mec chiant, déjà.

Cher réseau,


Une peur : je crois être un garçon ennuyeux. Je pense l'être la plupart du temps, en fait.

C'est peut-être que je m'ennuie souvent.

Et puis, je ne suis pas souvent drôle.

En ce moment je crois être un peu sinistre, même, j'ai envie de rien qu'à me plaindre.

Je ne suis pas particulièrement intelligent. Même quand mon avis n'est pas banal, j'ai pas les ressources ou munitions mentales pour intéresser quelqu'un avec.

Je préfère souvent ne pas échanger à un désaccord mal exprimé et inefficace. Alors, on reparle encore de ci ou ça, et puis je laisse causer. Trop patient, et pas entreprenant.

Je passe mon temps à rêver à autre chose.

J'aime pas danser. Et bois peu.

Je suis pas à l'aise avec les inconnus, sauf s'ils multiplient d'eux-mêmes les signaux de connivence.

Et je te parle pas de mon ton de voix, idéal pour endormir les femmes ou leur faire penser à acheter des endives. Je parviens à endormir mes psy avec ma voix, et pourtant, je m'intéresse à ce que je raconte, dans ces cas-là.

Or, pour moi, on doit savoir faire réagir l'autre. Peut-être que je cherche trop à apaiser. Ou alors je suis indécrottablement lymphatique.

Tu dors, là ?

Je m'en doutais.


En lecture :


Vincent Ravalec : Nouvelles du monde entier.

L'art de la candeur/ le délire de l'immédiat comme recomposition d'un monde chaotique…


Une récurrente de la narration, c'est le point de vue du narrateur qui essaye d'abolir la distance avec les personnages et avec lui. Le ressenti du narrateur est plein d'interrogations, ce qui permet de nombreuses variations dans cette proximité voulue. L'authentique est parfois une vérité simple, parfois une révélation, parfois une superficie ou une superficialité mise en valeur par une parole devenue ironie. Et d'autres nuances qui au final donnent du vivant au texte.


Je retrouve l'une de mes figure de style favorite, le discours mi-direct mi-indirect (plus sûr de comment ça s'appelle ? Discours indirect libre ?). Par exemple : "Fala s'est levée et a balancé le cendrier en même temps qu'elle criait mais tu peux bien te les baiser tes Pamela Anderson, j'en ai rien à foutre". On économise les guillemets, les subordonnées "il dit que, elle répondit que". Bien maîtrisée, cette figure permet beaucoup de subtilités, concilie le percutant et le didactique, et préfère une manipulation ouverte des mots à une neutralité trompeuse. J'avais travaillé dessus en fac, dans les romans autobiographiques de Jules Vallès.

Intéressant, Ravalec semble utiliser indifféremment l'indirect libre, le discours cité, le dialogue et le discours rapporté. Je n'en suis pas certain, mais je crois qu'il s'agit autant d'un choix en fonction du rythme de la langue et du récit que de la distance voulue entre le narrateur et les personnages qui s'expriment.




Drift-raff :


Bon, j'atterris à peine sur une question basique.

Comment ça se fait qu'un gars comme Jésus, dont on a prouvé l'existence historiquement, devenu avec les siècles la superstar number one, n'ait jamais été physiquement retrouvé ?

Selon l'Eglise, il s'adressait au monde entier. Avant Paul (IVème siècle), on considérait qu'il s'adressait uniquement aux juifs, non aux Païens.

Mais si de sa dépouille et de sa généalogie il ne reste rien, en fait, il était juste leader religieux d'une petite faction, non ? C'était pas un gars exceptionnel.

Le message est intéressant, pas véritablement novateur finalement (il y avait de la concurrence, chez lui), et par ailleurs très déformé par ses porteurs ultérieurs. Mais physiquement, archéologiquement, rien ne montre qu'il fallait en faire tout un fromage, de ce prophète.

Ce qui est embêtant, parce que le fils de Dieu devait probablement avoir une idée de comment laisser une empreinte identifiable dans le temps. Genre une tombe.


_____________________

Ce qui serait bien, ce serait un protocole international sur la prise de responsabilité. Dès qu'une personne atteint une quantité critique d'influence sur le monde (du prince Saoudien au PDG de Microsoft), mais également un parieur en bourse,, il devrait répondre à un questionnaire psychologique et social.

Il ne s'agirait pas de contraindre directement, mais de rentre prédictible les comportements des personnes influentes. Et de former des agents spéciaux capable de les influencer. Gnihahahaha.


___________________________

Les économistes probabilistes sont des cuistres.

Si si, je viens de me le faire démontrer.

En fait, les mathématiques probabilistes sont basées sur une prémisse fausse du point de vue pas négligeable du réel, la courbe de Gauss. Dans cette courbe en cloche, le gros des événements se rassemble autour d'une moyenne. Or, aucun événement réel, d'ordre biologique, social, économique ou climatique ne peut être prédit suivant la moyenne des probabilités, puisque ce qui est important se déroule en général aux extrêmes de la courbe, là où les probabilités sont nulles ou presque.

Rien qu'à cause de ça, on devrait limiter l'influence de la bourse sur l'économie réelle. Parce que ces mathématiques sont la base de leur formation.

L'économie financière est donc un pur jeu de hasard, avec lequel quelques têtes de lard incapables d'un minimum de sens commun foutent le monde en l'air.

mercredi 7 mai 2008

Petit joueur

Cher Ray Zo,


Ma fille Loulou. Elle me ressemble souvent. Sauf qu'elle a les yeux bleus…

Je ne suis pas en accord avec sa mère sur certaines habitudes, mais au fond, je crois que son éducation est excellente. Sauf le bordel monstre de l'appart' de Brit. Je n'ai aucune fascination pour l'ordre et la propreté, contrairement à la plupart des membres de ma famille, en revanche, je trouve le bordel anxiogène, au-dessus d'un certain seuil (le niveau des genoux).


Je suis un papa de w-e. Je trouve ça triste, même si pour l'instant, je ne pense pas pouvoir prendre un rythme beaucoup plus rapide.

Triste pour moi, j'entends. Loulou vit bien dans cette configuration, et même si je lui manque parfois, la situation n'est pas vécue comme un problème, un dysfonctionnement.

C'est plutôt moi qui pour l'instant me heurte à mes limites pédo-relationnelles. Ou relationnelles tout court, peut-être.

Je ne sais que regarder et sourire à Loulou bêtement, pas vraiment jouer, je ne comprends pas la moitié de ce qu'elle dit. Et je la rassure moins que sa mère. Par exemple, elle ne s'endormira pas si c'est moi qui lis l'histoire du soir. Et je crois que Brit ne me la confiera pas à dormir avant quelques années.

Par ailleurs, je suis toujours fauché, je n'ai pas toujours les moyens de faire petits cadeaux.

Bref, ce qui est un peu triste, dans l'histoire, c'est de me sentir encore plus limité que ce que je voudrais.


Toutefois, la tendresse est là, l'attachement. Je n'ai vraiment pas cette fibre très développée au naturel, et je ne veux pas la cultiver méthodiquement. Mais je sens bien que ça pousse en moi. Que ce ressenti, je devrai en tenir compte pour donner plus à Loulou, au fur et à mesure.

Je sais que selon les points de vue traditionnels, ces sentiments peuvent sembler aberrants. On ne constate pas le chatouillement de la paternité près de trois ans après la naissance, on ne regarde pas son sentiment évoluer comme un bonsaï, on n'envisage pas son enfant comme une installation artistique in progress.

Evidemment ! Mais le lien familial que nous tissons n'est pas classique. Je crois que c'est une surprise, et une responsabilité dans une gamme autre que celles des autres pères. A la fois dans celle du père séparé, celle de l'oncle et parrain. Je n'occulte pas le lien familial, ni la responsabilité, et la question n'est pas de savoir si c'est assez ou suffisant : l'idéal ou la norme ne permettent pas de comprendre, mais seulement de juger. Ce que je veux, c'est faire attention pour bien faire. Aimer attentivement, et rester fidèlement à portée de vue puisque je ne vis pas à portée de main.


En lecture :


L'homme-Dé, de Luke Rhinehart.

Autobiographie, autofiction, manifeste romancé, satire psychiatrique ? L'histoire du Dr Rhinehart racontée (une partie du temps) à la première personne, un homme qui a décidé de détruire sa personnalité en laissant des dés choisir pour lui ses prochaines attitudes, entre plusieurs options définies avec une diversité énorme.

C'est tentant, dérangeant, drôle… Ca vient croiser pas mal de textes situ qui proposent le jeu comme horizon du progrès (plutôt que des utopies sociétales). Je pense aussi un peu à La conjuration des imbéciles, de John Kennedy Toole. Je me sens concerné par les préoccupations étranges du narrateur, je me demande si jouer sa vie aux dès serait intéressant…

Le livre pose une question intéressante : dans une société incohérente, est-il sain d'essayer de rester cohérent ? Le développement d'une personnalité multiple ne permettrait-il pas de vivre plus pleinement ? C'est une possibilité que des auteurs récents envisagent sincèrement.

On aurait la possibilité de protéger son moi, sa cohérence, mais de refuser de comprendre le monde, ou de l'ignorer. Mais être libre aussi radicalement, c'est aussi ignorer le monde. Et peut-être qu'un monde incohérent nous fait croire qu'on doit l'être, mais que quelques jours de vacances au calme nous aiderait à retrouver le nord.

Franchement, la question est intéressante.

Apparemment il s'agit d'un livre culte. En tout cas, le pavé est très digeste jusqu'ici. Par contre, je suis au deux-tiers, les limites d'un récit basé sur le hasard sont atteintes, j'espère qu'il y a un développement aussi prenant.


Tu peux toujours dire que je suis un rêveur. Mais je ne suis pas le seul.

mardi 6 mai 2008

Famille je te... oh, et puis zut.

6/5/08


Cher Ray Zo,

Journal :


Ca ne rigole plus.

J'entame une période à famille. Au programme, mon frère et ma grand-mère sont chez moi pour deux semaines, et ce w-e je vais chez mon père pour me faire présenter son ex-maîtresse et future femme.

Très grosse pression, et pas de la petite bière.


Pendant ces deux semaines, je vais probablement vivre une grande partie du temps dans les frusques du "paumé qui donne de l'inquiétude". Et dans la famille, quand on est inquiet, c'est lourd.

Comme ce moment-là, au collège. Tu viens de dessiner un super beau robot de guerre sur ta table. Le bras gauche est démesuré, mais avec le triple canon, ça le fait bien quand même. Ca le fait même mieux que si c'était symétrique. Et puis quelque chose attire ton attention. Un silence inhabituel. Pas de bourdonnement de bavardage, ni la mélopée hoquetante de Mme Varan, la prof d'HG.

"Vous pouvez me dire ce que vous faites ?", demande-t-elle avec une voix frappante, pleine d'offuscation, et surtout bien trop proche. Et elle attend vraiment que tu répondes "je dessine sur la table". Elle bougera pas tant que tu l'as pas fait. Les excuses ne fonctionnent pas, il faut dire tout haut "là, je fais une grosse connerie ridicule".

Mieux : imagine un voleur de pomme au milieu d'une lande sèche et rocailleuse. Et une section de tanks et des hélicos type forteresses volantes autour de lui. Et dans l'un d'eux, un hygiaphone, avec lequel un général crie au gars : "et maintenant, tu comptes faire quoi ?". Et il attend une réponse, hein. Et même des actes. Il renverra pas les tanks tant que le voleur n'aura pas bredouillé bêtement et longuement. Sinon c'est pas du travail.


Un moment comme ça, étendu sur deux semaines.

Cette pression se nomme culpabilité. A petites doses, ça va de paire avec la compassion, l'empathie, le cœur, ce genre de choses. Un don de naissance, parait-il. Désagréable mais lubrifiant social essentiel.

A grosses doses, c'est un peu comme un 6ème orteil gauche. Ca sert à se faire mal et à rien d'autre.


Alors je les sens assez mal, ces semaines à venir.

Il y aura probablement quelques jours critiques où je commencerai le chômage et où ma grand-mère sera encore là. J'envisage diverses stratégies de fuites. Je n'échapperai pas à certains regards matinaux me signifiant que je suis le Héraut de la Désespérance, et aussi un sale gosse. Au réveil c'est déjà pas la joie, une journée entière, c'est depressiogène, ou masochiste.

J'espère qu'il fera encore beau et qu'il y aura des trucs à voir au ciné.


Drift-raff :

- Comment ça, une relation juste pour le plaisir, sans prise de tête ? On est pas des animaux !

- Exactement. Les animaux ne pratiquent le sexe que pour se reproduire. Je n'ai pas l'intention de nous rabaisser, je cherche donc uniquement le plaisir.



Tu peux toujours dire que je suis un rêveur. Mais je ne suis pas le seul.

C'est rempli d'itées.

05/05/08


Cher Ray Zo,


Journal :


Il y a une porte à côté de mon accueil. Beaucoup de passage. Cette porte à, depuis trois semaines, une voix sympathique. Un grincement qui tourne bien. Ca fait une sorte de court "ah" de surprise, selon la vitesse, plus ou moins interrogatif ou joyeux.

Presque à chaque fois je me tourne pour essayer de trouver ce qu'il y a d'étonnant dans le hall. Rien. Sauf moi mais chut.


____________________

Mode semi-automatique.

Juste pour le bruit, la concentration minimale.

Minimal, on est mal.

Involonté d'être là. Là au boulot, là chez les amis, là avec celle qui dure.

Je ne m'en fous pas. Je ne m'en fous pas. Je n'éprouve pas d'envies. Je veux me reposer, me coucher. J'ai toutes les peines du monde à rester éveillé.

Et le reconnaître c'est me perdre, m'abandonner. Admettre. Ce n'est ni bien ni mal, c'est. Et seule la peur me retiens de pas dormir.

La boîte va me jeter, et je tiens encore cette barre. Pour une poignée d'Euros de plus.


Manque de stimuli. Manque d'espoir. Manque de repos.

Envie de me laisser partir dans le sommeil. Le sommeil, c'est ma confiance. Je m'endors parce que je veux croire qu'on me protège. Qu'on me veille. Le sommeil, c'est moins d'anxiété, personne qui m'attend.


Si j'ai tant de mal à résister, c'est sans doute que je ne m'attends plus.


Je parle parfois d'addiction à la farniente. En partie parce qu'au-delà des ressentis physiologiques, il y a l'obsession.

Que ce serait bien, un shoot.

Le matelas qui s'étend, la lumière douce, la pièce tiède, et glou-glou-glou… la torpeur, le sommeil.


Drift-raff :

A chaque fois que je tombe sur cette expression, j'ai l'esprit qui part faire des noeuds : "avoir une identité secrète". Ca m'arrive souvent, puisque j'aimons bien les comics avec des super-héros, et les films, et les séries, et les magazines.. Bref. Et régulièrement, je vérifie mentalement si Spider-man est l'identité secrète de Peter Parker plutôt que l'inverse. C'est-à-dire que Peter Parker est le secret de Spider-man, même si Spider-man celui de Peter Parker.

Voyez, même en connaissant l'info, ça n'est pas clair.


Mais alors certains disent " vivre sous une identité secrète". Et là c'est impropre, ou je comprend plus du tout : le secret devrait être caché dessous une identité, pas la vraie vie sous l'identité secrète.

Je pense que c'est un problème d'habitude linguistique. On dit "vive sous une fausse identité". Et là c'est logique, la fausse identité est fabriquée pour cacher la vraie. Mais vivre sous une identité secrète… Je vois trop des gens qui se baladent avec des masques et des t-shirts "j'ai une autre identité mais c'est un secret".


_________

Jubilatoire.

J'en ai marre de lire ce mot partout. Pas une semaine sans qu'un critique jubile sur quelque chose. Je ne sais pas ce qui parait sonner le plus faux : qu'il y ait un grand courant d'objets culturels excellents dans les océans médiatiques, et que je sois tout bonnement incapable d'en suivre la vague, ou que parmi la frange cultivée de la population, il y a des gens qui pètent d'enthousiasme.

Un peu les deux. Mais j'ai l'impression, pour la seconde hypothèse, que cette jubilation relève souvent d'une excitation superficielle. Des petites joies qui voudraient se faire passer pour des fenêtres sur le bonheur.

En fait, je ne comprend pas qu'on puisse être intelligent, apparemment si joyeux et finalement si chiant.


_________________________

Honnête homme, ça sonne bien.

Ce qui me plait, dans cette expression vieillotte, c'est cette synthèse entre l'ouverture d'esprit et la morale.

L'honnête homme semble une figure assez naïve, puisque le progrès technique et le progrès moral, sans parler de l'accessibilité du bonheur, ont révélé leur indépendance. Pourtant… Qu'est-ce qu'on peut mettre à la place, vraiment ?

Des capillotracteurs, qui, par refus de l'utilitarisme, jouent avec les riens, infatués de leur sujet au point de croire rejoindre ainsi le tout.

Des robots-mixeurs, qui entassent tout, et on balance deux trois trucs hyper-pointus pour faire croire qu'on est pas largué.

Des robots-mixeurs eschatologiques, les mêmes en descente de trip.

Des spécialistes planqués derrière la neutralité d'un savoir circonscrit au poil près.

Des meutes de surinformés mal lunés.

Des bonnes âmes graphomanes.


Le pire ce n'est pas qu'ils se mêlent au bruit d'un trop plein de fréquences. C'est que ce rendre compte qu'ils ne disent rien de fort requiert plus d'attention que les autres braillards.



Visionné :


Tu peux toujours dire que je suis un rêveur. Mais je ne suis pas le seul.

Pas de nerfs, pas de guerre.

Cher Ray Zo,


Journal :


Demain je revois ma responsable pour préciser les modalités de mon licenciement. J'ai annoncé la nouvelle à mon père, qui s'inquiète et se fâche.


A côté de ça, toujours pas de signe de l'assurance maladie. J'ai une dent du bas qu'est en train de partir en miettes depuis un mois ou deux, et j'ai pas consulté parce que pas les moyens… Mais là, j'ai surtout plus moyen de reculer. J'ai des éclairs de douleurs dès qu'un bout de nourriture se balade par là. J'espère que le dentiste sera patient à l'encaissement du chèque.


Le temps passe bien trop lentement aujourd'hui.

J'ai hâte d'arriver à une journée de farniente. Flotter chez moi comme un nuage.

Je crois qu'à la fatigue de cette semaine éprouvante vient s'ajouter l'anticipation décourageante de mes prochaines semaines à famille.


___________


Je me souviens d'un texte, pêché je ne sais plus où.

Ca disait : comment rendre votre vie plus prenante qu'un film d'action.

L'idée, c'est que le rédacteur du texte appartenait à une génération d'ennemis. Des jeunes gens modernes, amoraux, rapides, qui guettaient ma chute.


J'étais pas très doué pour la haine, la concurrence, les rapports de domination. Plus doué pour le peur, la faiblesse et l'empathie. Pourtant, de déceptions en désarrois, je me sens venir des mépris plus crispés. Marre de ménager les individus…

Marre d'être doux.


M'imaginer des ennemis, derrière le visage des éternels jeunes cons batailleurs et des sempiternels petits caporaux de l'égocentrisme, les sentir nuisibles en plus de les savoir bêtes, et finalement les regarder comme un camp adverse concret… Croire que ce sont des gens que je pourrai cogner, vraiment, et me préparer à cette éventualité. Rétrécir mon champ de vision jusqu'à devenir capable de penser que quelqu'un est entièrement connard.


M'inscrire dans cette opposition, comme n'importe quel mini-prédateur de la société concurrentielle et sportive. Ou n'importe quel casse-pieds professionnel. Ca pourrait m'aider à trouver ma place, accepter les rapports de soumission et d'autorité. Je pourrai prendre plaisir aux rancoeurs, et peut-être jouir des victoires de merde.

Ca m'apprendrait la discipline.


Tombé au champ d'erreur

24/04


Cher Ray Zo,


Journal :


Voilà, je vais être viré / démissionner. C'est inattendu sans être surprenant. Trop indolent, trop familier, pas assez sérieux pour le poste, on ne me l'apprend pas.

Concrètement, ce qui me pend au nez c'est une faute grave, que je ne pense pas avoir réellement commise, mais il suffirait probablement de souligner l'une des nombreuses petites fautes répétées qui pourraient conduire à la faute grave ou à l'incident. Et ce n'est pas à moi, apparemment, de juger de la définition de grave. J'ai pleuré à la fin de la convocation.


Là, je n'angoisse pas encore, mais ça ne saurait tarder. Matériellement, je ne suis dans doute pas en danger réel. Sécurité matérielle familiale, a défaut de bien-être. Mon père ne me fera sans doute pas de sale coup, et me soutiendra probablement le temps que je retrouve un revenu (et pourquoi pas un boulot où je me sente utile, tiens, rêvons).

Je ne sais pas dans quoi chercher. Un poste de clerk de bureau… Idéalement dans un environnement pas trop formaliste, histoire de passer un peu à autre chose.


Le plus difficile, même si ce n'est pas ce qui est le plus instantanément ressenti, c'est de me sentir une fois de plus en inadéquation avec les mœurs les plus admises de la société.

J'aimerai bien plus de fierté réconfortante - la fierté sert-elle à autre chose ? - mais ce n'est pas le cas. En moi se joignent une sensibilité égotiste irréductible et l'indécrottable et poisseux désir d'être accepté.


Alors, oui, il y a de la fierté. Pas au point d'avoir fait exprès de ne pas convenir, pas au point de ne pas me remettre en cause. Fierté fallacieuse, tirée de la prophétie auto-réalisée "je ne suis pas fait pour ça". Je me contenterai bien de vous chanter à ma façon I'm a creep, I'm a weirdo, what's the hell I'm doing here, I don't belong here, un peu de fanfaronade adolescente, mais je n'ai pas tant de caractère.


Je ressens un soulagement gênant : ouf, je n'ai plus à prouver que je suis pas une tache, ils pensent déjà que j'en suis une. Ce sera ça, l'angoisse, quand je me remettrai à chercher : il va encore falloir démontrer le contraire, ou le faire croire. Aux entretiens, puis au quotidien.


C'est ça qui me fatigue le plus, dans un boulot.

Cette tension : masquer ses défauts, savoir que tout à l'heure va tomber une autre occasion d'être jugé. Sans jamais qu'on puisse se reposer sur une ou plusieurs victoires. La machine continuera à tourner, il faut participer sans faillir. Un rouage comme moi est normal quand il fonctionne, mauvais dans le cas contraire. Pas de qualités temporisatrices, de reconnaissance. Ca marche ou tu peux crever.


C'est comme ça.


Voilà, vos idées de sauvetage pour Lagaffe lunaire sont les bienvenues.

Piercing au pantalon

22/04/08


Cher Ray Zo,


Journal :


Tous mes pantalons percent à l'entrejambe. Plus précisément juste entre l'anus et les bourses. Ca m'énerve, ça me fait me sentir gros.

Je n'arrive plus à perdre du poids. Etant donné mon goût modéré pour les végétaux et plus affirmé pour la junk food, je pense, soit me mettre à faire de la cuisine, soit me faire fournir des dérivés d'amphétamines. Ca dépendra de ce qui est le plus facile.


Facile.

La vie n'est pas facile mon petit lunaire.

Ca ne rentre pas. Je ne dois pas être assez désespéré. Triste, oui, mais pas désespéré. Je crois encore à un avenir joli et doux et intéressant et mordant.

Et crois-moi ou pas, cet espoir est juste la vaseline qui rend le présent moins irritant.

Pas que j'aimerai être plus cynique. Le cynisme, depuis Mitterrand, c'est une paresse mal assumée. Et j'assume pas si mal. Mais je voudrai ne plus avoir rien à attendre, et me sentir plus libre d'agir juste pour voir ce à quoi j'arrive.

Mais ça voudrait dire passer par une souffrance plus forte. Brûler jusqu'à n'être plus que carbone et sels élémentaires. Et recréer la vie à partir de ça.


Drift-raff :

Mettez fin aux brutalités policières. Apprenez aux hippies à se défendre. (Paul Muller)

J'alternoie.

Drift-raff :


Concept : "La sous-consommation ostentatoire". Pensé par Baudrillard. Une certaine tempérance dans la consommation, par le choix et la conscience.

Ce qui est amusant, c'est qu'en soit c'est une consommation, et de plus un luxe, réservé à une élite riche et/ou lettrée, informée en tout cas. Et cette posture valide sans le savoir le capitalisme !

Ca confirme une de mes intuitions : ne pas profiter de l'abondance n'est pas une prise de distance avec le capitalisme, mais une façon d'être dedans. Une confusion entre le système qui produit et le résultat des techniques dont se sert le système.


On ne peut pas enrayer la surproduction par le refus de consommer : la surproduction demeure. Ce qui ne signifie pas qu'on a pas la possibilité de faire des choix à hauteur individuelle. Mais concrètement, ils n'ont pas d'impact quand on ne maîtrise pas l'outil de production (aux d'Illitch). Le seul moyen de calmer le capitalisme, c'est de créer ou promouvoir des alternatives plus efficaces que lui. Des outils de production, et une distribution qui n'appauvrit pas…

_____________________________


Je me souviens d'une amante qui ne comprenait pas du tout mon projet polyzamoureux.

Lorsque je lui disais qu'une vision moins fusionnelle de l'amour pouvait venir avec l'âge, elle récusait avec énergie cette idée. On pouvait apprendre, mais ce qu'on attendait de l'amour demeurait.

L'amour avec un grand A, majuscule et enluminé.


Bien que j'apprécierais, je ne pense pas que les gens vieilliront tous polyzamoureux. Il y aura des convertis, mais ce n'est pas exponentiel, ni automatique.

Ce qu'il peut en revanche évoluer, contrairement à ce que pensait l'amante en question, c'est la perception de l'amour. Je ne parle pas de l'amour au sens quotidien, la vie de couple pour être plus précis : un couple qui vieillit peut évoluer mais généralement son modèle de départ ne change pas radicalement. Ce qu'on voit en lui au départ ne change pas. Je pense à ce qu'on pense de l'amour après avoir vécu des amours. (On chemine vers la lapalissade).


L'autonomie des femmes, l'allongement de la vie, le divorce et le report de l'établissement en couple permettent la multiplication des partenaires au cours des années. Plus de gens avec plus d'expérience, plus de partenaires possibles pour plus de monde… Les connaissances sont pls nombreuses et plus faciles d'accès. Plus d'expérience possible, et plus de diversité des expériences : même si les couples durables naissent d'un même milieu, les histoires interclasses rencontrent moins d'obstacles matériels (internet notamment présente de plus en plus d'espaces déclassés) ou moraux. Disons qu'il est plus facile aujourd'hui d'éprouver ses préjugés…


Et, de rencontre en rencontre, on a évolué, on peut attendre autre chose, ou savoir mieux exprimer ses attentes, et quelles qualités individuelles permettent de les satisfaire. Bien sûr, il y a des gens qui mûrissent peu ou pas, et il y a encore plus de raisons que ce soit vrai en amour qu'ailleurs. Beaucoup attendent la sécurité par le couple ; ce besoin étant plutôt régressif, il est aisé de toujours rechercher dans une relation l'idéal d'équilibre qu'on ne trouve pas par soi-même. Et si l'apprentissage dont je parle joue dans cette quête du complémentaire parfait, il peut se résumer à essayer ses sentiments avec des gens différents, sans affiner sa démarche...


De même, il est tout à fait possible que l'accumulation de rencontres se fasse longtemps sans remise en cause personnelle. Je pense à ceux pour qui le célibat n'est pas un recentrage mais une attente consciente ou non de la prochaine expérience de couple. A vrai dire, il doit être difficile de mûrir sans avoir connu le célibat ne serait-ce qu'un an ou deux d'affilée. Le temps de se voir changer, de repasser quelques étapes en se voyant soi-même célibataire, différent de celui qu'on était en convalescence de rupture ou en couple (en attente de couple..).


L'élargissement de l'éventail des rencontres possibles ne rend donc pas systématique l'apprentissage amoureux, il le favorise seulement.

Et on peut refuser d'apprendre.

C'est une posture avec laquelle je suis vraiment en conflit. Une vision de l'amour universel et inchangeable, phénomène naturel comme la pluie ou le beau temps, sur lequel nous n'aurions ni pouvoir ni responsabilité.


Est-ce que le polyzamour est plus responsable ?

Non, dans le sens où les polyzamoureux ne sont pas meilleurs que les autres ni moins soumis aux émotions. C'est de la vie émotionnelle, et même en faisant des efforts pour la sortir d'un flou cache-paradoxe déresponsabilisant, on ne décide pas d'elle, on décide à cause d'elle.

Mais si quand même, parce que le polyzamour postule la variabilité des désirs de l'individu, et propose en conséquence un pacte, un accord explicite sur la prise de responsabilité dans une relation : je sais ce qui peux m'arriver, ce qui peut t'arriver, et un changement chez l'un de nous ne constitue pas une trahison du nous… On prend sur soi les changements de l'autre, et on s'engage (sisi) à demeurer capable de répondre à ses besoins.


Et de remettre à plat si nécessaire… C'est pas seulement "ben comme dans un couple normal, ça va mieux quand on parle". Le polyzamour rejette un certain modèle amoureux, celui du couple fidèle et trognon jusqu'à ce que la mort le sépare. Même si tous les couples ne se donnent pas ce modèle comme objectif, celui-ci reste une référence, par pression sociale ou absence de questionnement. C'est ce qu'il faudrait faire, ce qu'on pourrait faire si tout était au mieux, et si on y arrive pas, on tend vers ça. Une remise à plat polyzamoureuse est nécessairement différente, puisqu'elle peut impliquer que la relation demeure tout en s'éloignant de beaucoup de cette idéal. On peut vouloir arriver à une amitié sans être arrivé à l'âge du dentier, et que cette amitié comporte encore un caractère amoureux. S'engager dans le polyzamour, c'est une prise de risque différente, mais forte, on admet d'emblée que l'éloignement n'engendre pas le renoncement. Il faut beaucoup de confiance en soit et en l'autre pour admettre ces changements.


Tiens, en passant, ça différencie le polyzamour du libertinage. Le libertinage ouvre des relations sans nécessairement s'annoncer comme libertinage, parce que ça fait partie du jeu de séduction. Mais on peut commencer par être libertin, tomber amoureux, et s'accorder au polyzamour pour pouvoir demeurer libertin au su de l'autre (à priori en passant sur les détails, petits pervers).



Je lis (dans le mag Philosophie, très bien pour mes besoins) l'intervention d'une neurologue. Elle semble dire que l'amour est une sorte de shoot hormonal, et que le désamour arrive tôt. Le reste serait une construction culturelle, c'est-à-dire variable selon les lieux et les époques.

Une remarque intéressante sur les défauts : pendant l'amour, il ne sont pas perçus comme néagatifs, après ils deviennent gênants. Le cerveau sort donc d'une illusion avec le désamour, mais n'accepte pas d'avoir fait erreur. Alors on pense que l'autre nous a trompé, ou qu'on s'est trompé de personne… Alors que c'est l'idée d'un amour unique qui est fallacieuse, puisqu'on peut avoir le shoot avec quelqu'un dont les défauts nous gêneraient autrement.